Rédigé par
Maître Quentin Mugnier, avocat associé – Mermet & Associés
Une clause de non-recours peut-elle permettre au bailleur de se soustraire à son obligation de délivrer un local en bon état ? La Cour de cassation répond par la négative dans un arrêt rendu le
10 avril 2025. Elle rappelle que l’obligation de délivrance est d’ordre public et ne peut être contournée par une clause contractuelle, quelle qu’en soit la formulation.
🔎 Sommaire
1. Rappel des obligations du bailleur
L'article 1719 du Code civil impose au bailleur de "délivrer la chose louée" et d'en garantir la jouissance paisible. Cette obligation essentielle se prolonge pendant toute la durée du bail. Elle est d'ordre public, ce qui signifie qu'on ne peut y déroger par convention.
Par opposition, l'entretien ou certaines réparations peuvent être mises à la charge du preneur par une clause expresse. Mais l'obligation de délivrance, notamment en bon état, ne peut pas être exclue par une clause générale ou spécifique.
2. L'affaire tranchée par la Cour de cassation
Dans cette affaire, un contrat de bail prévoyait une clause de non-recours très large : le preneur renonçait, pour lui et ses assureurs, à tout recours contre le bailleur, même en cas de troubles de jouissance ou de perte d'exploitation.
Suite à une détérioration des lieux, le locataire engage une action en responsabilité contre le bailleur. Ce dernier lui oppose la clause de non-recours. La Cour d'appel fait droit à cette exception. Mais la Cour de cassation casse cette décision.
3. Une clause inopérante contre une obligation essentielle
La 3ème chambre civile rappelle que la clause litigieuse n'a pas pour effet d'exonérer le bailleur de son obligation de délivrance. Peu importe sa portée, sa formulation, ou son accord par le locataire.
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Extrait de l'arrêt (Cass. 3e civ., 10 avril 2025, n° 23-14974) :
«
Une clause de non-recours, qui n'a pas pour objet de mettre à la charge du preneur certains travaux d'entretien ou de réparation, n'a pas pour effet d'exonérer le bailleur de son obligation de délivrance.
Pour rejeter les demandes indemnitaires de la locataire, l'arrêt retient que la clause du bail par laquelle la locataire a renoncé à tous recours pour les dégâts causés dans les locaux loués aux objets mobiliers, marchandises ou matériels quelle qu'en soit l'origine, du fait de la privation de jouissance ou de troubles de jouissance des lieux loués, prive celle-ci de toute demande d'indemnisation sur le fondement du manquement de la bailleresse à son obligation de délivrance, y compris celle au titre de l'indemnisation du surcoût du loyer.
En statuant ainsi, alors qu'elle était saisie de demandes indemnitaires fondées sur un manquement de la bailleresse à son obligation de délivrance, la cour d'appel a violé le texte susvisé."
4. Quelles clauses restent valables ?
Le bailleur peut mettre à la charge du preneur certains travaux d'entretien ou de réparation non structurelle. Il peut prévoir des clauses exonératoires en cas de faute du preneur ou pour des dégâts causés par un tiers.
Mais il ne peut pas s'exonérer des vices structurels ou des troubles de jouissance affectant la destination des lieux loués.
5. Conseils pratiques
💡 Conseil d’avocat aux bailleurs :
N'intégrez pas de clauses de non-recours visant à écarter l'obligation de délivrance. Privilégiez des clauses ciblées sur les obligations d'entretien courant, compatibles avec le droit.
💡 Conseil d’avocat aux locataires :
Ne renoncez pas trop vite à vos droits, même en présence d'une clause très large. Un référé expertise peut utilement être engagé pour faire constater les désordres ou les vices.
➡️ Lire aussi : Référé expertise – faire désigner un expert avant tout procès
6. FAQ
💬 Une clause de non-recours est-elle valable contre un manquement à la délivrance ?
Non. La Cour de cassation rappelle que l'obligation de délivrance est d'ordre public. Une clause de non-recours ne peut pas l'écarter.
💬 Le locataire peut-il agir malgré une clause très large ?
Oui. Le preneur conserve le droit de demander réparation pour tout préjudice lié à un manquement du bailleur à l'obligation de délivrance.
💬 Peut-on prévoir contractuellement une exonération pour les réparations ?
Oui, mais seulement pour les travaux d'entretien courant. Les vices structurels ou troubles de jouissance restent à la charge du bailleur.
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📌 Conclusion
La clause de non-recours n'est pas une arme magique pour le bailleur. Dès lors qu'un trouble de jouissance ou une dégradation touche l'obligation essentielle de délivrance, le locataire reste en droit d'obtenir réparation.
Une vigilance s'impose dans la rédaction des contrats, tant pour les bailleurs que pour les preneurs, afin d'éviter les fausses sécurités contractuelles.